unguis lamina
Les couteaux à strass
Unguis lamina est une série de couteaux détournés qui interroge la violence féminine dans la culture occidentale. À travers l’usage de codes esthétiques associés au féminin, le projet explore les rapports entre pouvoir, normes de genre, domination et beauté
Extrait du corpus Carmen dont est tiré le projet.
Contexte
Dans le roman de Mérimée, Carmen attaque au couteau une autre femme dans la fabrique de cigares. La fulgu-rance de ce geste, qui tranche avec le rythme installé du récit, interroge Doris Poe : quelle est la place des pulsions de violence, ou de colère, chez les femmes dans nos sociétés contemporaines ? Et quel rôle jouent les activités traditionnellement associées à la féminité dans leur expression ou leur inhibition
Nikki Luna - Rebel Woman, 2011
Martha Rosler, Semiotics of the Kitchen, 1975
La philosophe Sandra Bartky a montré comment les pratiques de beauté comme le maquillage et la manucure fonctionnent comme autant de techniques de disciplinarisation des corps féminins. Mona Chollet parle, elle, de l’aliénation esthétique comme d’un mécanisme d’occupation mentale et temporelle. Audre Lorde, dans The Uses of Anger, rappelle que la colère des femmes n’est ni une faiblesse, ni une faute, mais un levier politique. Et Elsa Dorlin, dans Se défendre, propose une lecture subversive de la violence comme stratégie de survie pour les corps rendus historiquement indéfendables.
. Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, tome II : L’expérience vécue, 1949
. Mona Cholet, Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, La Découverte, 2012
. Sandra Bartky, Femininity and Domination: Studies in the Phenomenology of Oppression, Routledge, 1990
. Audre Lorde, The Uses of Anger: Women Responding to Racism, conférence prononcée en 1981
. Elsa Dorlin, Se défendre. Une philosophie de la violence, Zones, 2017
Marilyn Minter - Dirty Heels, Swarv, 2005
Concept
Pour révéler la charge esthétique comme outil de contrôle social et de régulation de la colère des femmes, Doris Poe réalise une collection de couteaux recouverts de strass. Elle oppose d’authentiques couteaux de chasse ou de combat à la minutie et le temps nécéssaires à la réalisation du nail art (manucure artistique).
Chaque pièce est créée à l’aide des outils et des techniques traditionnels de la manucure modernet : gel, topcoat, pinceaux, lampe UV. Ce travail vise à brouiller les registres et renverse les symboles. L’esthétique bling bling tranche avec la violence de l’objet, ce contraste donne accès à un paradoxe.
Technique
Chaque couteau est orné à la main à l’aide des outils professionnels utilisés par les prothésistes ongulaires. L’artiste emploie du gel UV de construction, polymérisé sous lampe UV/LED, pour fixer durablement les strass, les perles ou les bijoux fantaisie. Les compositions, minutieusement élaborées, s’inspirent des codes du nail art : symétries décoratives, accumulation brillante, micro‑reliefs.
Avancement
Neuf prototypes ont été réalisés à ce jour. Le projet a vocation à se développer, en diversifiant les typologies de lames et en intensifiant les techniques de décoration.
À la série actuelle de couteaux de chasse et de combat s’ajouteront d’autres objets tranchants issus d’autres contextes de violence : outils utilisés dans l’abattage animal, mais aussi instruments d’incision associés à l’histoire des violences gynécologiques, gestes techniques invasifs et dispositifs de contrôle opérés sur les corps féminins.
Ces nouvelles pièces seront traitées avec des techniques de nail art plus élaborées (incrustations de strass, bijoux détournés, résine sculptée) et enrichies de symboles forts : références religieuses, codes esthétiques ultra-genrés, motifs rituels ou stéréotypés.